La critique est certes superficielle, que ce soit dans le choix des artistes cloués au pilori – non, l’art contemporain officiel ne se réduit pas à Jeff Koons ou McArthy et son désormais célèbre plug anal – ou dans la structuration de la démonstration, mais l’ouvrage a au moins quelques mérites. La déconstruction du récit d’une histoire de l’art conçue comme une succession linéaire d’avant-gardes devenant rapidement les arrières gardes à abattre pour satisfaire les appétits du marché n’en est pas un des moindres: la vérité est bien plus subtile que cela, et Benjamin Olivenne illustre intelligemment cette complexité, en soulignant les proximités trans-courants ignorées du grand public. Cette vérité rhizomique mériterait à elle seule un ouvrage entier, tant les connections conscientes ou inconscientes entre les différentes formes d’art sont légions. Si l’influence des arts premiers ou de l’art brut sur les grands courants de la peinture du XXiéme siècle a suffisamment été analysée, l’impact du Land Art sur l’architecture, celui de la musique sur la sculpture restent encore trop peu connu du grand public. L’art-contemporain ou non est avant tout « Infusion » et non succession. Un immense bouillon d’où sort le plaisir esthétique.
Le deuxième mérite, et non le moindre, est de convoquer pour la défense d’un autre art contemporain, celui du figuratif, l’artiste Jacques Truphémus. La magnifique exposition qui lui fut consacré à l’occasion du Festival des Jardins contemporains de Chaumont, en 2018, résumait bien mieux que l’ouvrage d’Olivenne ce qu’est le véritable Art Contemporain. Peu importe la technique, l’école, le courant. Peu importe qu’il soit « Officiel » ou « Autre art contemporain »: il ne s’agit nullement d’une question de Beauté, d’appartenance à une classe d’happy few maitrisant les codes de lecture. Il est des artistes, qui réussissent à encapsuler les pulsions de vie dans une œuvre. Il y a les génies, comme Picasso ou Giacometti chez qui chaque œuvre est un fragment vital, arraché à leur propre vécu. Il y a ceux qui le réussissent dans une œuvre emblématique, tel Munch et son cri. Il y a ceux qui se suicident lorsqu’ils pensent qu’il n’y arriveront plus. Regarder une œuvre de Truphémeus, c’est sentir immédiatement le bruissement des feuilles de ses arbres, la chaleur de la lumière qui éclaire le bouquet. C’est aussi avoir envie de toucher la nappe bleue, gouter les fruits dans la corbeille. Aux yeux d’Alain Badiou, ou de Michel Foucault, ce qui est en jeu dans l’art contemporain, c’est le principe actif de l’œuvre. Elle doit être avant tout une expérience singulière, une fenêtre sur le présent. « L’avant-garde dit : nous commençons. Mais la question véritable du commencement est son présent »(a). Il est stérile d’opposer comme le fait Olivenne les tulipes de Koons aux natures mortes de Truphémus. Mais il est probable que l’expérience offerte par les œuvres de Truphémus soient -maintenant- en phase avec notre nouveau présent.
a) Alain Badiou, Le Siècle